Heureux ! Sauras-tu l’être ! Heureux, sauras-tu bien !
Laisser tomber au sol le fardeau des aigreurs,
Goûter plus d’un instant l’incorrecte langueur,
...Usurper dans ton sang tes vices pour les miens !
Heureux, telle une femme avant l’événement !
Courir en désirant que cesse enfin ta fuite,
Et, dedans cette peur appréhendant la suite,
Te détendre dans l’ombre, amusé, plaisantant !
T’habiller de candeur aux orages d’un schisme,
T’embourber dans des cieux d’un autre œil éclairés ;
Manger, sans tes couverts ni la table dressée,
Toi vieillard éphémère, au banquet du gâtisme !
Il est à peine l'heure, et déjà tout s’éveille,
Le fond de l’air est frais, si vive la corneille ;
Rapporte vers le soir ce que tu eus trop peu,
Tu verras mollement ta nuit devenir bleue.
Tes astres déchiffrés ou bien manquant de place,
Sans un bruit pousseront les murs de tes espaces ;
Imprévisible, enfin, comme ces nés nouveaux,
Le soir te descendra comme une aile d’oiseau,
Brusquant en flot ta barque, en ondes vaporeuses,
Toi qui n’étais qu’en toi qu’heures tumultueuses...
Que ton cœur libre enfin s’apaise en y pensant !
Elance-toi, vas, meurs, souris au trépassant,
Au bord du dernier rêve, apaisante nuée,
Dévoile moi ton âme aux hommes embuée !
Comme la veuve un jour ose fuir son couvent,
Ne reste pas longtemps à genoux et mourant !
Dans l’Eden obombré transpire autant que l’âtre,
Berce toi de soleils, de miel, de gais rayons,
Revêts toi de ta peau, brûle aux feux tes haillons,
Offrant au noir du ciel leurs nuages bleuâtres.
Vois soudain ce qu’emporte au firmament des cieux
La jeunesse qui luit en ces miroirs trop vieux.
Repensant à l’été, mangeant tes raisins secs,
Repose alors ton livre en sa bibliothèque.
Baise, baise ta voile à ce souffle enflammé
Que te donne la braise aux clartés murmurées ;
Fais resplendir ainsi qu'un banc que l’onde noie
Tous ces jours où poisson jamais tu ne nageas.
Mais, quel désir de vivre et d’en être affamé,
Malheur ! sommeille au fond de nos petites fois !
Et pour dernier repas, ô frère ! Quel dieu ploie
Cet arbre où trône un fruit qu’on s’effraie d'affleurer...
Sébastien Broucke