A foncer dans ce froid, à ramper sur ce sable,
J’entrevois que le feu n’a rien de redoutable,
Que l’enfer est de glace et que là s’y consument
Tous les efforts fournis pour courir sous des plumes.
Le pire est ce ciel sourd où ces oiseaux sans flamme
Ne crient ni ne rient plus tant comprendre l’infâme
Les effraie. L’air est gelé, le ciel anthracite,
La mer avance, hoquette, et les flots se délitent.
Une force indomptable a modifié les lois,
La lune n’y peut rien, la plage a tous les droits,
L’aller est malaisé, le retour impossible,
Et l’impuissance en tout soumise à l’invincible.
Heurtant des crabes morts, des poissons médusés,
L’hiver travaille au corps la nature abusée ;
Son cœur ne pulse rien, ses mains vont bleues, froisser
La robe des chevaux de ces armées blessées.
Tout blanchit, devient fou, les flots se statufient,
Plus rien n’est assez fort pour crier : « Ça suffit !
Retourne d’où tu viens, retourne dans tes terres,
Rends aux sommets leur neige et sa houle à la mer. »
L’hiver s’en fout, l’hiver avance, il est vainqueur !
N’ayant plus de frontière à ses envies d’ailleurs,
Il vient tout pétrifier, les plages obtempèrent,
A transmuter les eaux en ouvrages de verre !
L’onde crache l’écume ainsi que des cailloux,
Tout râle, tout rend lame, et le froid, ce voyou,
Jubile quand la mer aperçoit bafouées
Ses filles sur leurs sœurs qui viennent s’échouer.
Se traînant gravement, s’évertuant quand même
A tenter de toucher ces digues qu’elles aiment,
Sous les doigts des vents gris transissant l’eau qui tremble,
Elles souffrent chacune, elles meurent ensemble.
Figées dans leur élan par un sculpteur martial,
Erigeant en mourant leur propre mémorial,
Toutes déshabillées de la force de vivre,
On croirait des esprits momifiés de givre.
A remuer leurs eaux qui songent à sécher,
Sur l’onde atrabilaire on voit se détacher
En ces vagues gelées des rouleaux stupéfiés,
A croire que la mer se fait photographier !
Il est une autre image où le regard s’étonne,
Un moment de blessure aux anges qui chantonnent,
Une erreur à la vie, un problème à la foi,
Que seuls les plus aimants comprennent quelquefois.
Regarde cette femme où la larme a passé,
Sa vie s’est arrêtée quand la tienne a cessé,
Aux horloges du temps n’est plus qu’une saison,
L’hiver de ton absence a rempli sa maison.
Là-bas, petite enfant, dans son âme plaintive,
Tu demeures sculptée sur de célestes rives,
Sa mémoire amputée de vos années perdues
Est comme la banquise à ses yeux suspendue.
Miracle que de vivre en regrettant un mort !
Brisée dans ton élan, je sais bien que tu dors,
Mais puisque dans ses bras tu n’es pas revenue,
Ton sourire est gravé dans sa plaie mise à nue.
La vague à l’océan doit sans fin repartir,
Retourner en arrière est son seul avenir,
Cela fait des années qu’aux cieux restant pendue,
Cette âme prie ce dieu qui en est descendu.
Est-Il sourd, elle indigne, en demande-t-elle trop,
Dans son froid souvenir n’es-tu qu’un amas d’os ?
Elle t’aime toujours, encore, et vient le dire,
N’espérant rien de plus que voir tes yeux rouvrir.
Ne crains rien, Il entend le malheureux qui sonne
Ou frappe, Il goûte sa peine en personne.
Crois-moi, le jour arrive où chaque âme éplorée
Verra fondre la fille où la mère à pleuré…
Sébastien Broucke
17-21 avril 2014